LinkedIn, une plateforme en voie de merdification?

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Schéma de l'algorithme de LinkedIn

Quinze années se sont déjà écoulées depuis que j’ai créé un compte LinkedIn. Dans une phase initiale, de 2010 à 2015, cette plateforme de réseautage professionnel m’a permis de trouver des piges intéressantes sans même les chercher activement. Il suffisait d’avoir un CV bilingue, à jour et riche et mots clés avec quelques recommandations de contacts et ex-collègues.

Et puis arriva l’époque des recruteuses, recruteurs et chasseurs de têtes. De 2015 jusqu’à 2020 – année de la covid, du télétravail et de la percée de Zoom – j’avais la certitude d’interagir avec de vraies personnes. J’ai même eu quelques échanges cordiaux et instructifs via la messagerie intégrée, à défaut de déboucher sur quelque poste que ce soit. Il ne m’aurait même pas effleuré l’esprit que ces interlocuteurs puissent être des agents malveillants situés à Bengaluru – s’ils existent physiquement – ou générés par intelligence artificielle en vue de me soutirer des informations sensibles.

Or, depuis 2020, LinkedIn est visiblement en voie de « facebookisation » en raison de ses suggestions et publicités envahissantes. 

Or, le terme approprié serait plutôt merdification (enshittification ou platform decay), un terme inventé par l’écrivain Cory Doctorow pour illustrer la dégradation de l’expérience offerte par les réseaux sociaux au fur et à mesure qu’ils accaparent une clientèle captive. La rédaction de ce billet m’aura au moins permis d’être à jour en matière de néologismes techno, celui-ci ayant beaucoup circulé entre 2022 et 2024.

Grosso modo, mon expérience actuelle de LinkedIn se résume ainsi :

  • Je n’ai presque aucune nouvelle de mes 337 contacts. Mon flux de nouvelles réel est dominé par quelques collègues travaillant pour le même employeur, et une douzaine de contacts ayant obtenu la faveur des algorithmes en publiant frénétiquement.
  • Les suggestions et les infopublicités occupent plus de 50 % de mon fil de nouvelles lorsque celui-ci est trié par pertinence.
  • Le seul contenu encore pertinent à mes yeux a trait à l’urbanisme et à la politique municipale, un champ d’intérêt non directement lié à mon expertise professionnelle, grâce à quelques contacts assez prolifiques à ce sujet.
  • Lorsqu’il s’agit de mon expertise en technologies de l’information, LinkedIn suggère sans arrêt des nouvelles qui ont trait à l’intelligence artificielle, un secteur qui détruit plus d’emplois qu’il n’en crée actuellement. Un symptôme de la mauvaise allocation des ressources dans une société turbocapitaliste. Sans trop élaborer sur le sujet, le surplus de liquidités de la haute finance sont alloués à des secteurs « tendance », à la limite spéculatifs, qui mèneront inévitablement à un crash boursier digne des tulipes hollandaises de 1637 ou des dotcoms en 2001! Voilà qui n’est guère encourageant pour l’avenir d’une plateforme axée à l’origine sur la recherche d’emplois.
  • Enfin, la portée de mes publications et la fréquence de mes interactions se réduit d’année en année. À cet effet, je me demande si mes contacts souffrent d’une fatigue des réseaux sociaux les incitant à moins utiliser la plateforme, ou s’ils sont plus précisément découragés du peu de portée de leurs publications?
  • Le fait de suivre volontairement le compte d’entreprises ou de personnes n’appartenant pas à mon réseau pourrait possiblement remédier au manque de contenus pertinents, mais est-ce que le temps investi en vaudrait la chandelle? Rien n’est moins sûr.

Tout compte fait, la merdification de LinkedIn est une inversion du slogan de la saucisse Hygrade : moins les nouvelles sont fraîches, moins les gens en consomment. Et moins les gens en consomment, moins les gens en produisent.

Je dois préciser que j’ai nuké mon compte Facebook personnel dès 2020, pour le rouvrir avec une autre adresse courriel et uniquement à des fins professionnelles. J’ai fini par fermer ce compte également.

LinkedIn sera vraisemblablement la prochaine victime de mon tempérament luddite. Le web libre et ouvert est mort, vive le web libre et ouvert!