Le Québec malade de ses experts : plaidoyer pour une approche interdisciplinaire

Alors que s’amorce une nouvelle campagne électorale fédérale, force est de constater que la communication politique s’est considérablement appauvrie ces dernières années, en raison notamment du recours systématique aux mêmes « experts » et spin doctors, au détriment d’autres sources qui seraient plus pertinentes. La complexité du monde réel n’a pas bonne presse et n’est pas jugée politiquement rentable.
Une pensée en silos
L’exercice du pouvoir consiste à faire un arbitrage entre diverses priorités sociales, économiques, environnementales et sécuritaires. Or, la classe politique québécoise et canadienne, dépourvue de leadership, délègue désormais ses responsabilités à des spécialistes auxquels elle voue une confiance aveugle. Des sommités qui exercent le plus souvent dans des cabinets de conseil privés et font trop souvent l’objet de conflits d’intérêt flagrants. Par définition, ces spécialistes consacrent aussi toute leur carrière à un champ d’action précis et sont incapables d’envisager les conséquences de leurs décisions sur le reste de la société. La perte de vision d’ensemble qui en résulte mène le pays à la catastrophe.
En journalisme, la situation n’est guère plus reluisante : la rigueur et le principe du contradictoire ont été délaissés au profit de l’opinion desdits experts, qui ne peuvent être contredits par leurs interlocuteurs, puisque ceux-ci sont armés d’un simple bac en communications et dépourvus de toute connaissance en matière de science, d’histoire ou d’économie. Par simple paresse, par ou directive de leurs supérieurs, les journalistes se cantonnent dans le même registre de gens « fréquentables » qui régurgitent sans cesse le même message depuis des lustres. La vision en silo et la polarisation subséquente de l’opinion publique ne sont pas uniquement dues aux algorithmes des réseaux sociaux, elles résultent en premier lieu de la sélection restreinte effectuée les médias généralistes subventionnés.
La gestion de la Covid-19 – cette épidémie de « cas » mâtinée de chasse aux sorcières – a été l’exemple même de recours abusif aux experts au détriment du bon sens le plus élémentaire. Or, je ne perçois aucun intérêt d’en faire un post-mortem en bonne et due forme, que ce soit dans la classe politique, chez les professionnels des médias, ou dans la société québécoise au sens large.
Le kidnapping du débat environnemental
L’environnement me semble un sujet plus porteur dans le cadre de la campagne électorale actuelle. À ce titre, le discours politique s’est réduit comme une peau de chagrin ces dernières années, pour ne tenir compte que de la « crise climatique » et du bilan carbone dans un contexte de frontières nationales. Cette idéologie est fondée sur l’avis du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – sorte de club sélect aux mécanismes opaques, composé de membres dont personne ne connaît le nom.
Exit la question des pesticides, de la pollution plastique, des OGM et des néonicotinoïdes. Exit les conséquences fâcheuses des conflits armés, telles que la persistance de l’uranium appauvri, les déversements de pétrole ou les attaques de drones sur des centrales nucléaires! Et que dire de l’enfouissement des fils électriques, de la protection de nos paysages, de la résilience de notre réseau en proie à des pannes de plus en plus fréquentes? Trop cher? Trop cher!
Il y a un quart de siècle, plusieurs intervenants apportaient encore une perspective locale et des points de vue variés au débat environnemental québécois : André Bélisle (Association québécoise de lutte contre la pollution), Daniel Green (Société pour vaincre la pollution), les cinéastes Richard Desjardins et Robert Monderie (L’Erreur boréale). En 2008, le courageux chercheur Alain Deneault et ses collègues ont été poursuivis pour avoir exposé les dommages sociaux et environnementaux de l’industrie minière canadienne dans les pays en développement – un sujet qui devrait pourtant intéresser les adeptes de l’électrification des transports et de l’intelligence artificielle, grandes consommatrices de métaux rares – mais qui ne ferait même plus l’objet d’une manchette au bas de la page D8 du cahier du samedi, si la presse imprimée existait encore.
Dans ce contexte de raréfaction des intervenants et des points de vue, les médias généralistes et certains gardiens du temple très actifs sur les réseaux sociaux font tout pour empêcher l’émergence de nouveaux interlocuteurs. Seules les personnes détentrices d’un diplôme en climatologie ou quelque autre spécialité de pointe ont droit de cité. Le débat essentiel à la gouvernance démocratique est ainsi kidnappé par une caste de grands prêtres à la parole infaillible.

Le culte du « net zéro »
En 2025, le mot d’ordre est la décarbonisation – escroquerie financière du banquier mondialiste Mark Carney adoptée d’emblée par toute la classe politique québécoise, de la CAQ à Québec solidaire, en passant par le Parti québécois et le Bloc québécois. Si les experts du GIEC servent de caution à cette arnaque pseudoscientifique, vous devez y croire sur parole ! Et si vous osez remettre en question cet aspect du programme de nos bonzes « nationalistes », vous serez bloqué illico des réseaux sociaux.
Or, les dommages économiques causés par cette idéologie sont déjà considérables, à en juger par l’échec de la filière batterie et les centaines de millions de dollars de deniers publics engloutis dans des compagnies insolvables telles que Northvolt et Lion Électrique. La notion économique de coût d’opportunité aide à prendre la mesure de ce fiasco : qu’aurait-on pu obtenir en matière de logement, de transports en commun, d’infrastructures durables ou de soins de santé avec ces mêmes montants, perdus à tout jamais?
Tel que mentionné précédemment, la politique active est une question d’arbitrage, et des erreurs peuvent être commises de bonne foi lors de cet arbitrage, mais la règle devrait être de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier !
Dans le cadre de cette course aveugle à la décarbonisation, le gouvernement québécois a officiellement adopté un règlement interdisant la vente de véhicules avec moteur à combustion à partir de 2034. Or, il ne faut plus acheter de Tesla, car Elon Musk est l’ami de Trump, et Trump est méchant. Il ne faut pas non plus acheter de véhicules chinois bon marché, car les Chinois constituent une menace. Même les constructeurs européens se détournent maintenant des véhicules électriques, jugés non rentables. Dans ces conditions, l’abandon de ce règlement irréaliste apparaît inévitable.
Puisque la question de l’environnement est maintenant réduite au climat, pourrait-on au moins, de temps à autres, demander l’avis de glaciologues, de volcanologues ou d’astrophysiciens pouvant nous donner une perspective à moyen et long terme sur l’évolution tout à fait naturelle des températures terrestres?
En somme, il n’est pas tant question de délaisser les experts, que de recourir à une plus grande diversité d’experts. Il est temps de voir de nouvelles têtes émerger, avec un profil interdisciplinaire et des expériences professionnelles non linéaires. Il nous faut aussi des leaders capables d’établir un lien entre une action et ses conséquences dans un monde de plus en plus complexe et chaotique.
Bref, je rêve d’un Québec et d’un Canada curieux, ouverts à la diversité d’opinions, capables de voir au-delà de leurs œillères et des idéologies à la mode. Est-ce encore possible?