Les origines du concept d’aliénation

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1.1 Utilisations variées dans la recherche et dans la pratique

Il est important de mentionner que C. Wright Mills n’était ni le premier, ni le dernier intellectuel à développer le concept d’aliénation. Comme le souligne D. Kalekin-Fishman (2000:387), celui-ci a été au cœur de l’ordre du jour sociologique pour la plus grande partie de la seconde moitié du XXe siècle et s’est infiltré jusqu’au cœur du discours populaire. La variété des approches et disciplines l’utilisant est impressionnante. Outre la sociologie, le concept a été au cœur de travaux de psychologie, de criminologie, etc. Selon Mills lui-même (1951:xx), tant le point de vue marxiste, populaire aux États-Unis dans les années 1930, que l’éthique libérale du self made man ne suffisent plus et, par conséquent, les problèmes caractéristiques de la société américaine doivent être formulés en termes psychologiques, pour ne pas dire psychiatriques. En regard de ces nombreuses disciplines, les possibilités d’études comparatives sont donc infinies. Or, pour s’en tenir à l’essentiel et identifier les caractéristiques innovatrices de Mills, il est nécessaire de considérer brièvement les jalons posés par Karl Marx.

1.2 Origines de l’aliénation chez Marx

Dans ses premiers écrits, Marx a posé le problème du capitalisme en termes d’aliénation beaucoup plus qu’en termes d’exploitation. Conséquence des « contradictions historiques du capitalisme », l’aliénation était selon lui un phénomène spécifiquement historique et non pas inhérent à la nature humaine (Kivisto, 1998:19). Caractérisée par l’incapacité du travailleur à posséder le fruit de son travail, l’aliénation se traduisait en outre par le nivellement du travail, du travailleur et du bien produit au rang de « commodités » ou de « biens économiques ».

Pour mieux cerner le concept d’aliénation chez Marx, on pourrait le comparer à celui d’anomie, concept popularisé par Émile Durkheim et pour lequel la sociologie se devait d’apporter un tout autre genre de réponse. L’anomie, en résumé, pourrait se traduire par les comportements pathologiques et le chaos conséquents à la disparition de normes sociales reconnues. Durkheim, en ce sens, considérait donc la solidarité et le maintien d’une communauté comme des objectifs sociaux essentiels.

Au contraire, Marx considérait la solidarité et la communauté — dans la mesure où elles pouvaient aussi se manifester entre un patron et ses employés — comme des obstacles à la nécessaire lutte des classes :

Solidarity is an aspect of false consciousness, a mode of reasoning which prevents people from recognizing the true state of things. Because such an awareness is integral to the perpetuation of the capitalist dominance, alienation is inevitable (natural) in a capitalistic social order (Kalekin-Fishman, 2000:389).