Pourquoi les architectes vivent-ils si vieux?

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Photo : © Vincent Fournier, série Brasília

La pandémie mondiale de coronavirus a eu raison de l’architecte italien Vittorio Gregotti, décédé le 15 mars 2020 à l’âge de 92 ans. En dépit du contexte tragique entourant sa disparition, l’on peut tout de même se réjouir qu’il ait bénéficié d’une telle longévité. Il semble d’ailleurs que ses collègues ont un don particulier pour déjouer la Grande Faucheuse.

En cette période de confinement propices à la réflexion, la question se pose : pourquoi les architectes vivent-ils si vieux? Y a-t-il un lien entre l’espérance de vie et la créativité? Y aurait-il un « biais du survivant » faisant en sorte que les longues carrières soient mieux connues?

Faute d’étude pouvant établir ce lien de manière rigoureuse, voici une liste empirique d’architectes renommés ayant vécu jusqu’à un âge avancé. Les cas sont si nombreux que seuls ceux ayant dépassé 80 ans seront retenus ici, avec une préférence pour ceux et celle qui ont contribué au paysage de Montréal.

Architectes décédés

Oscar Niemeyer (104 ans)

Champion absolu de la longévité, le plus célèbre architecte brésilien (et premier « starchitecte » mondial) est demeuré actif jusqu’à son décès en 2012. L’on raconte que ce travailleur acharné fumait régulièrement des cigarillos, ce qui rend sa longévité encore plus étonnante. Ses immeubles tout en courbes figurent parmi les principales attractions de Brasília, São Paulo et Rio de Janeiro.

Ieoh Ming Pei (102 ans)

Originaire de Chine, le concepteur de la Pyramide du Louvre s’est établi aux États-Unis en 1935. Il ouvre son agence I. M. Pei & Associates à New York en 1955. Le complexe de Place Ville-Marie, érigé à Montréal en partenariat avec le canadien Raymond Affleck, est l’un de ses premiers gratte-ciels d’envergure. Adepte de formes épurées, Ieoh Ming Pei laisse une empreinte indélébile sur le skyline de Hong Kong, Dallas et Boston.

Philip Johnson (98 ans)

Adepte des travaux de Mies Van der Rohe, Philip Johnson convainc la riche héritière montréalaise Phyllis Lambert de leur confier la conception du Seagram Building de New York au milieu des années 1950. À la fin des années 1970, Johnson bifurque vers le postmodernisme, pour concevoir des tours à bureaux de style Chippendale (AT&T building) ou néogothique (les superbes One Detroit Center et PPG Place de Pittsburgh).

Yona Friedman (96 ans)

D’origine hongroise, cet architecte et sociologue a débuté sa carrière en Israël et développé le concept d’architecture mobile pour répondre aux besoins démographiques et aux contraintes d’espace de ce jeune pays. Ses créations futuristes et modulaires ne sont pas sans rappeler l’Habitat 67 de Moshe Safdie.

Pedro Ramírez Vázquez (94 ans)

Architecte et designer originaire de Mexico, Pedro Ramírez Vázquez laisse à sa ville natale une empreinte moderne distinctive. Le Musée national d’anthropologie et le stade Azteca figurent parmi ses œuvres les plus connues, de même que l’identité visuelle des Jeux olympiques de 1968 en collaboration avec Lance Wyman.

Roger Taillibert (93 ans)

Ce spécialiste des installations sportives a conçu l’ensemble architectural le plus étonnant de Montréal, soit le stade Olympique et son vélodrome adjacent, dont la construction a été entachée par la corruption. Actif jusqu’à la toute fin, cet architecte au franc-parler légendaire aura vécu assez longtemps pour voir le mât incliné du stade enfin occupé par les bureaux de Desjardins, plus de 40 ans après les Jeux de la XXIe olympiade.

Robert Venturi (93 ans)

Cet architecte et théoricien américain est considéré comme le précurseur du postmodernisme, de par son utilisation ironique d’éléments ornementaux dès le début des années 1960. Son œuvre diversifiée est composée de villas, de musées, d’immeubles à logements et de projets d’aménagement urbain.

Frank Lloyd Wright (91 ans)

Inspiré par la culture japonaise et l’harmonie avec la nature, Frank Lloyd Wright laisse en héritage de magnifiques projets résidentiels, tels que Fallingwater, qui apparaissent comme des havres de paix contrastant avec sa vie personnelle mouvementée.

Kenzō Tange (91 ans)

À la faveur d’événements majeurs tels que les Jeux olympiques de Tokyo (1964) et l’Exposition universelle d’Osaka (1970), Kenzo Tange a largement contribué à façonner l’identité architecturale du Japon d’après-guerre.

Jørn Utzon (90 ans)

Fils d’un constructeur naval, cet architecte danois a signé les plans de l’opéra de Sydney. Cet immeuble emblématique se distingue par son élégante structure de béton, qui évoque aussi bien les coquillages marins que la voilure d’un navire.

Michel-Ange (88 ans)

À la fois sculpteur, peintre, architecte et urbaniste, le prolifique Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni est l’auteur de chefs d'œuvre tels que La Pietà et le plafond de la chapelle Sixtine. Son principal legs architectural est le dôme à double coque de la basilique Saint-Pierre de Rome.

Michel-Ange a vécu à la même époque que Léonard de Vinci, lui-même décédé à 67 ans. Un exploit tout aussi remarquable, compte tenu des conditions sanitaires qui prévalaient il y a cinq siècles. Né en 1598, Gian Lorenzo Bernini (dit Le Bernin et surnommé « le second Michel-Ange ») a pour sa part vécu jusqu’à 81 ans. Il semble donc que l’esprit multidisciplinaire soit un gage de longévité, toutes époques confondues!

Richard Buckminster Fuller (87 ans)

C’est en 1949 que cet inventeur et designer aux tendances mystiques conçoit son premier dôme géodésique – un type de structure qui a fasciné aussi bien l’armée américaine que les hippies faisant un retour à la terre au cours des décennies suivantes. La Biosphère du parc Jean-Drapeau (ex-pavillon des États-Unis à l’Expo 67) demeure le plus imposant dôme géodésique jamais construit.

Walter Gropius (86 ans)

Naturalisé américain en 1944, cet architecte allemand est connu pour avoir fondé l’école du Bauhaus et imposé les notions de rationalisme, de fonctionnalisme et de standardisation.

Ludwig Mies van der Rohe (83 ans)

Autre figure de proue du Bauhaus, « Mies » est reconnu pour ses immeubles minimalistes offrant une continuité entre les espaces intérieurs et extérieurs. Montréal en compte plusieurs, dont le 201 rue Corot et la station-service de L’Île-des-Sœurs, ainsi que le Westmount Square, tous érigés en fin de carrière.

La tour du stade olympique de Montréal. Photo : © Provencher Roy.
La tour du stade olympique de Montréal. Photo : © Provencher Roy.

Architectes vivants

En date du 22 avril 2020 :

Phyllis Lambert (93 ans)

Héritière de l’empire Bronfman, Phyllis Lambert contribue à l’essor de l’architecture moderne à New York dès les années 1950, en recommandant les services de Ludwig Mies van der Rohe pour la construction du Seagram Building. Elle consacre une grande partie de sa fortune à la promotion de l'architecture et du patrimoine, en fondant notamment le Centre canadien d’architecture à Montréal. À titre d’architecte, on lui doit le Centre Segal des arts de la scène (Centre Saidye-Bronfman), inauguré en 1967.

Frank Gehry (91 ans)

Associé au mouvement déconstructiviste, ce natif de Toronto a signé les plans du Musée Guggenheim de Bilbao et de plusieurs autres attractions touristiques de renommée mondiale.

Richard Rogers (86 ans)

Né à Florence de parents britanniques, Richard Rogers a fait émerger le modernisme high-tech avec des réalisations marquantes telles que le centre Georges-Pompidou.

Norman Foster (84 ans)

Émule de Buckminster Fuller, Norman Foster est l'un des principaux représentants de l'architecture high-tech avec Richard Rogers.

Renzo Piano (82 ans)

Proche collaborateur de Richard Rogers, cet architecte italien a délaissé les bâtiments high-tech pour se spécialiser dans l’intégration environnementale et culturelle.

Moshe Safdie (81 ans)

Cet architecte israélo-canadien acquiert une renommée internationale dès l'âge de 29 ans, grâce à l'immeuble à logements modulaires Habitat 67, maintenant classé monument historique. Il signe ensuite plusieurs édifices publics prestigieux, dont le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa, le Musée de la civilisation à Québec, et le deuxième pavillon du Musée des beaux-arts de Montréal.

Exception notables

Zaha Hadid (66 ans)

Originaire de Bagdad mais ayant travaillé à Londres la plus grande partie de sa vie, la seule femme à s’être hissée au rang de « starchitecte » nous a quitté prématurément en 2016. Elle est associée au mouvement déconstructiviste.

Johann Otto von Spreckelsen (57 ans)

Cet architecte discret mais visionnaire fait construire quatre églises au Danemark, avant de remporter un concours menant à la réalisation de L’Arche de la Défense à Paris. Il meurt deux ans avant la complétion de cette œuvre phare, miné par la complexité technique du projet et les intrigues politiques qui entourent sa construction.

Eero Saarinen (51 ans)

Cet architecte et designer américain d’origine finlandaise est emporté par un cancer dans la force de l’âge, non sans avoir laissé quelques immeubles et objets les plus emblématiques de la seconde moitié du 20e siècle, dont la Chaise Tulipe, la Gateway Arch de Saint-Louis et le Terminal 5 de l’Aéroport international John-F.-Kennedy (maintenant TWA Hotel at JFK).

Photo principale : © Vincent Fournier, série Brasília.

Croquis de Yona Friedman
Croquis de Yona Friedman.