Vin bio ou issu de la viticulture raisonnée? Un choix plus grand qu’il n’y paraît

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Le vignoble du Jurançon, aux environs de Pau

En Amérique du nord, les aliments « bio » ont commencé à prendre place sur les tablettes des supermarchés il y a un peu plus de quarante ans, au moment où la génération du flower power s’est assagie et a lancé des entreprises spécialisées dans ce créneau. Or, c’est maintenant le vin qui est de plus en plus souvent commercialisé sous l'étiquette agrobiologique, à tel point que certaines succursales et le site de la SAQ réservent à ces bouteilles une section dédiée.

Mais qu’implique cette catégorisation au juste? Puisque le Québec produit peu de vin, une petite tournée des viticulteurs du Sud-Ouest de la France m’a rapidement permis d’en savoir plus.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est essentiel de savoir à quoi rime le système d’Appellations d’origine contrôlée (datant de 1855 pour ce qui est des vins de Bordeaux). Les AOC sont des garanties de provenance et de qualité établies à une époque où l’industrie pétrochimique n’avait pas encore inventé les substances nocives qui s’infiltrent maintenant dans la chaîne alimentaire. Toute la production d’avant-guerre était biologique, mais de nos jours, un vin d’AOC peut aussi bien être bio que pas du tout ! Essentiellement, cette forme d’évaluation repose à la fois sur ce qui se passe dans les champs et dans les chais. Les processus de vinification et de maturation en barrique y jouent un rôle très important.

Cependant, la certification biologique – en France du moins – ne s’applique qu’aux champs, soit à la culture de la vigne elle-même. Il n’y a donc pas de vins bio, seulement des vins issus de raisins bio ! *

* MISE À JOUR : Depuis le 1er août 2012, la réglementation européenne R(UE) 203/2012 impose un cahier des charges à toute la chaîne de vinification.

La clé est dans les champs

Une bonne manière de s’y retrouver est d’utiliser la gradation entre vignes cultivées selon les méthodes conventionnelle, raisonnée, biologique ou biodynamique.

La viticulture conventionnelle obéit à une logique de productivité, et consiste à utiliser les pesticides et fertilisants de synthèse de manière systématique, peu importe la situation. Peu de gens s’en vantent.

La viticulture raisonnée est synonyme d’agriculture durable. Elle consiste à n’utiliser les produits synthétiques que lorsque ceux-ci sont absolument nécessaires pour traiter les maladies. Bon nombre d’autres mesures destinées à prévenir les maladies ou préserver l’environnement de manière globale peuvent être rangées dans cette catégorie fourre-tout.

La viticulture biologique, quant à elle, obéit à un processus de certification qui prend trois ans. La vigne doit avoir été totalement exempte d’arrosages de produits de synthèse durant tout ce temps. Le seul pesticide toléré pour traiter la vigne contre le mildiou est la « bouillie bordelaise » à base de sulfate de cuivre, en quantité très limitées.

Enfin, la viticulture biodynamique est fondamentalement biologique, mais va plus loin qu’une simple interdiction des produits de synthèse. Elle s'engage à respecter le rythme naturel des plantes, en synchronicité avec les cycles lunaires.

Voyons maintenant comment ces différentes approches prennent forme sur le terrain.

Le rationnel

François Despagne, propriétaire du château Grand Corbin-Despagne de Saint-Émilion, incarne bien le courant vers une agriculture durable. Prenant le virage bio de manière prudente et progressive et se méfiant des « extrémistes », M. Despagne a une formation scientifique en biologie moléculaire, qui l’a naturellement ramené à se plonger dans la chimie du vin et poursuivre une entreprise familiale de sept générations.

Dans les champs, ses initiatives consistent à planter des haies afin d’attirer les oiseaux et accroître la biodiversité. Sa production de vigne est volontairement limitée par l’ensemencement de plantes concurrentes, avec pour double objectif de ne pas épuiser les sols et augmenter la qualité du vin.

Dans les chais, M. Despagne fait nettoyer ses barriques de chêne usagées à la vapeur pour en prolonger la durée de vie. Pour éviter la mécanisation des vendanges, il fait appel à un nombre accru d’ouvriers. Pour l’instant, une seule de ses nombreuses parcelles est totalement exempte d’arrosages et peut satisfaire aux critères de certification bio.

Logique jusqu’au bout, M. Despagne a tout de même pris le soin de faire accréditer ses processus de viticulture raisonnée sous les labels AFAQ-AFNOR et Terra Vitis.

Le dévoué

À quelques kilomètres de là, dans la même juridiction médiévale de Saint-Émilion, travaille un personnage singulier. Il s’agit d’Alain Moueix du Château Fonroque.

Adepte de la biodynamie citant tour à tour le philosophe Rudolf Steiner et l’écrivain Johann von Goethe, Alain Moueix explique d’une manière calme et posée son dévouement pour la vigne, dont il ne s’éloigne jamais durant les quelque 110 jours que dure la maturation du raisin. Oubliez les congrès VIP et les salons du vin à l’étranger : la biodynamie est une technique qui requiert une présence de tous les instants.

Si jamais les plants de M. Moueix tombent malades, ils seront arrosés avec des décoctions (tisanes) d’ortie diluées dans l’eau à l’aide d’une cuve de métal appelée dynamiseur. Les carences minérales des sols seront quant à elles traitées avec l’achillée millefeuille. Une autre substance diluée au dynamiseur est ce compost très spécial, tiré d’un fumier qui a passé l’hiver dans une corne enfouie sous terre ! Dans tous les cas, l’administration de ces préparations aux vignes se fera selon un calendrier bien précis, au gré des cycles lunaires.

Nous sommes donc au croisement de l’homéopathie, de l’herboristerie et de l’astronomie. Le patient est la vigne, et la patience du viticulteur sera récompensée par un excellent vin qui témoigne d’un sol vivant et minéralement équilibré.

M. Moueix a obtenu les certifications Demeter (qui s’applique à tous les aliments produits selon les normes de biodynamie) et Biodyvin (qui s’applique uniquement aux vignobles). Nous sommes à l’autre bout de l’échelle, mais M. Moueix est-il pour autant un « extrémiste » ? À vous de juger.

Le libre-penseur

Reste maintenant à trouver un producteur qui fait simplement de la viticulture bio. Un dénommé Denis Darriet le proclame sans aucune hésitation.

Rencontré sur la terrasse d’un restaurant au festival Bordeaux Fête le Vin, l’homme qui a repris les rênes du Château de Seguin en 1987 se montre toutefois peu intéressé par la certification : « Avez-vous un voisin ? Si votre voisin arrose ses vignes avec des pesticides, votre certification ne vaut rien », déclare-t-il. Voilà une affirmation qui donne à réfléchir. Les contaminants se moquent en effet des limites cadastrales.

Or, dans le commerce et selon la loi, un vin bio est avant tout un vin certifié biologique (AB). Le Château de Seguin peut bien être produit avec du raisin qui satisfait aux critères d’agriculture biologique, mais vous n’en saurez rien en lisant l’étiquette, faute de certification.

Heureusement, l’AOC « Bordeaux supérieur » ne laisse aucun doute sur le plaisir de boire le produit final, œuvre d’un libre-penseur passionné.

Les inclassables

Départ pour le Château de Crouseilles, perché sur une colline à 150 kilomètres au sud de Bordeaux, dans une région bucolique qui ne laisse en rien présager d’une activité économique importante.

En contrebas, une humble maison cache dans ses entrailles les cuves les plus gigantesques qui soient. La cave de Crouseilles (AOC Madiran) recueille en effet les fruits de 148 vignerons, qui y adhèrent en mode coopératif.

Biologiques ou pas, les vins de Crouseilles? Quatre coopérants à peine cultivent de la vigne bio, et quelques autres ont entrepris leur conversion. Mais comme il s’agit de vins d’assemblage (faits de raisins provenant de toutes les parcelles, en majorité non certifiées) il est impossible de les étiqueter bio.

Cette coopérative est tout de même très intéressante puisqu’elle contribue au développement régional (avec des investissements de plus de 6 millions d’Euros ces dernières années) et assure la survie de petites exploitations qui ne tiendraient pas le coup dans le contexte de mondialisation actuel. Elle garantit par le fait même la préservation du Tannat, le cépage typique de la région. En d’autres termes, la cave de Crouseilles est dans une phase de transition qu’on pourra sans aucun doute qualifier de viticulture raisonnée.

De ce tour d’horizon très partiel se dégage le constat suivant : si la sélection de vins biologiques à la SAQ près de chez vous apparaît trop limitée, trop chère ou carrément inexistante, sachez que la tendance vers une viticulture durable et respectueuse de l’environnement s’enracine de plus en plus dans les terroirs français. Au moment d’acheter une bonne bouteille, pour en avoir le cœur net, observez attentivement l’étiquette. Vous y verrez peut-être l’une des mentions suivantes : Terra Vitis, VRC-Vitealys, ou encore Agriculture raisonnée AFAQ-AFNOR.


La rédaction de cet article a été rendue possible par l'agence de développement touristique Atout France.