Le boum économique de Kinshasa

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La Cité du fleuve Congo : rêve ou réalité?

J'ai séjourné à Kinshasa en 2002 pour contribuer modestement au lancement d'un portail Internet pour les ONG locales et vivre l'un des chocs culturels (et alimentaire, et pulmonaire...) les plus intenses de ma vie. Ceux qui ont lu mon infolettre sarcastique à l'époque savent de quoi il en retourne.

Bien des choses ont changé depuis, à commencer par la fin des ces absurdes barrages routiers tenus par des militaires-mendiants, la disparition des bars, salons de coiffure et autres bureaux de change improvisés dans des conteneurs de métal. Il faut rappeler que les années 1990-2005 ont été passablement mouvementées, avec la chute progressive du régime de Mobutu, l'arrivée au pouvoir du clan Kabila en 1997, puis l'assassinat de Kabila père en 2001 et la cohabitation malaisée de quatre vice-présidents sous Kabila fils. La République démocratique du Congo est désormais sur la voie de la stabilisation politique, à l'exception de ses régions frontalières de l'Est.

En termes urbanistiques, le Kinshasa vaguement provincial et post-colonial de 2002 fait maintenant place à une ville en plein boum de la construction. Des résidences cossues poussent comme des champignons dans tous les quartiers. On annonce l'érection d'une nouvelle commune, sorte de mini-Dubai, sur une île artificielle du fleuve Congo (photo), tandis qu'un nouveau complexe de tours résidentielles de 30 étages est annoncé dans le secteur de la gare centrale, in English only.

En effet, un autre changement perceptible est cette avancée de l'anglais dans l'affichage : Business Center, Health Clinic et autres Supermarket ont fait leur apparition à tous les kilomètres. Une avancée de l'anglais qui va de pair avec une dollarisation toujours aussi rampante et dommageable pour l'économie du pays, dans une perspective à long terme. L'Afrique est en effet le dernier refuge des billets verts imprimés par milliards à partir de rien du tout, symbole d'une dette américaine qui ne sera jamais repayée, entrant sur le continent via Western Union et échangés contre des marchandises bien tangibles : métaux précieux, produits de la pêche, denrées agricoles. Si le Zimbabwe a eu récemment besoin de ce remède de cheval économique pour mettre un terme à l'hyperinflation et retrouver un semblant de normalité, la République Démocratique du Congo sera-t-elle, au contraire, mûre pour un « plan Real » inspiré de l'expérience brésilienne de 1994 ? Ce pays mérite en effet une monnaie véritable, qui reflète la richesse de son sous-sol, son potentiel hydro-électrique et son formidable marché intérieur, bassin de consommateurs encore sous-exploité.

Chinois et Kinois, main dans la main

Nonobstant la dollarisation, ce sont des ingénieurs chinois qui supervisent l'un des cinq chantiers du président Joseph Kabila, soit la reconstruction des infrastructures publiques. Des infrastructures qui peinent, d'ailleurs, à suivre le rythme du développement de cette ville de plus de sept millions d'habitants. Le Congo pourra absorber sans nul doute le surplus de travailleurs chinois qualifiés pour encore plusieurs années, tant la tâche apparaît titanesque.

Curieusement, les Chinois ont misé sur le français pour exporter leur culture, puisque CCTV-F diffuse en continu dans la langue de Molière. Des informations soporifiques sur la récolte de l'abricot dans le Xinjiang ou les mines de cuivre de la province de Hubei sont ainsi rapportées par des journalistes à la diction impeccable.

Ces observations nous ramènent inévitablement à la lutte d'influence que se livrent les grandes puissances sur le sol Africain depuis la chute du communisme, et dont la manifestation la plus brutale fut le génocide rwandais. Cette lutte d'influence semble redynamisée par la crise économique et démographique touchant les pays occidentaux ainsi que la Russie, la Chine et le Japon. Dans ce contexte, Kinshasa apparaît comme une gigantesque ville de la ruée vers l'or, où les extrêmes se côtoient, et où le capitalisme primaire peut s'épanouir pour le meilleur et pour le pire.

Me sentant bien impuissant face à tous ces bouleversements, je ne peux que pleurer l'abattage, sur cinq kilomètres, des centaines d'arbres gigantesques qui ombrageaient naguère le Boulevard du 30 juin. Les derniers vestiges véritablement esthétiques de « Kin la Belle » viennent tout juste d'être sacrifiés pour laisser passer plus de Land Rovers et de Mercedes.